ORGANISATIONS COLLECTIVES, PENSÉE LIBERTAIRE ET EXPÉRIENCES D’ARTISTES

Roxane Bovet

« La vie est longue et le travail, quel qu’il soit, est toujours pénible. Je ne voulais pas y aller. Je voulais être artiste. Ce choix a été une vanité, et l’exercice d’un privilège, et pourtant je suis convaincue que mon désir était avant tout défensif. Le monde de l’art m’ennuie, m’agace, me révolte, mais le monde tout court m’horrifie. Être artiste me plaçait hors du monde, m’en protégeait. Être artiste m’autorisait à détester le monde, à croire que je pouvais le refuser. Refuser d’en faire partie, refuser la définition du travail qu’on m’impose, la définition du bonheur qu’on m’agite sous le nez, la définition de l’amour qu’on me jette à la gueule.»
Johana Blanc, Les déserteuses, 2023

Linda Good Bryant est une femme noire qui vit dans le New York des années 70. Quand elle ouvre la galerie Just Above Midtown, elle a 25 ans, elle est mère célibataire et n’a pas un sou. En y pensant de manière sensée et rationnelle, elle est la dernière personne à pouvoir se permettre une entreprise nécessitant un investissement temporel à 200% et de larges ressources financières. Mais la pensée rationnelle est faite pour celles qui peuvent accepter le monde tel qu’il est, or ce sont justement ces obstacles qui font que Linda n’a pas d’autre choix pour exister que de créer un univers parallèle.

Entre invention et paradoxe, ce Think.Zone propose une réflexion croisée entre art et pensée libertaire. Notre parcours sera composé d’une série de notions théoriques, de projets artistiques, de romans et d’expériences militantes nous permettant de penser ensemble notre capacité à inventer des modèles d’organisation autres. Le refus du travail de Marcel Duchamp aurait-il été le même si ses connexions et héritages ne l’avaient pas mis à l’abri de la nécessité? Avec une conscience de classe, nous nous intéresserons à des personnes qui changent les cadres, les moyens et les structures au sein desquelles elles entendent travailler, penser, créer et vivre.

Mais surtout nous nous intéresserons à la manière dont ces revendications prennent corps dans la réalité du monde physique. À la fois Stakhanoviste, agent du marché de l’art et trimard, le statut d’artiste professionnel·le·x est fondamentalement emprunt de paradoxes. À l’image de Carla Lonzi ou Goliarda Sapienza -qui mettent en garde contre «la consommation de toute idée, aussi proche de nous soit-elle, qui aura été rendue comestible par sa dialectique immédiate»- nous tenterons de nous tenir le plus loin possible des pensées dogmatiques et dichotomiques. Nous tenterons d’embrasser les paradoxes de la pensée incarnée, cette complexité qui s’impose dès que l’on quitte le monde éthéré des idées. Ainsi, nous aborderons les notions de liberté, de travail ou d’autonomie dans toute leur complexité et leur incohérence.

L'objectif de cet atelier est de promouvoir la discussion, la pensée critique et le positionnement éclairé des étudiantex.

image: Anaïs Nin working on her press, circa 1942