Performanceproletarians!

Lili Reynaud-Dewar

En 1970, Brian de Palma réalisait « Hi! Mom » une comédie sombre et grinçante, avec Robert de Niro. « Hi! Mom » est un genre de fable typique de l'époque de Marshall McLuhan, qui raconte les usages que De Niro fait de sa caméra et de ses différents personnages et identités, depuis l'enregistrement du quotidien de ses voisins jusqu'à sa participation à une performance violente du célèbre Wooster Group. Cette performance, intitulée « Be Black Baby ! » constitue le point culminant du film. Elle propose un échange de rôles entre citoyens américains blancs et noirs, dans laquelle les blancs, le visage noirci, se font frapper et insulter par des noirs grimés de blanc. De Niro y joue un rôle assez différent : celui d'un policier qui intervient brutalement afin de couper court au déchainement de violence. Dans le reste du film, la familiarisation de De Niro (un vétéran du Vietnam) avec sa caméra va de pair avec son identification à plusieurs figures plus ou moins détestables : de l'aspirant réalisateur au flic violent, en passant par le compagnon hyper jaloux et autoritaire (il emménage avec une des filles qu'il espionnait avec sa caméra) jusqu'au terroriste. La scène finale, qui montre De Niro en train de donner des interviews pour la télévision locale, en tant que témoin d'un attentat à la bombe dont il est en réalité l'auteur, résume bien l'intention du film tout entier : tourner en dérision maximum l'influence des médias sur notre capacité innée à endosser des personnalités et jouer des rôles.

En 2008, dans son livre On Surplus Value in Art (Witte de With Publishings 2008, Sternberg Press, 2010) Diederich Diederichsen proposait un terme :

“the performance proletarians” afin de décrire une nouvelle classe (créative) apparue avec les nouvelles conditions technologiques de circulation et de diffusion de contenus artistiques. Les conditions de production de cette classe, nous dit Diederichsen, sont dé-régulées, dé-professionalisées. Elle ne fonctionne plus seulement en tant que force de travail mais en tant que force de vie, déployant les produits de son activité créative à travers un flux continu d'énergie, d'agilité, de charme, de talent.

Ces produits ne se distinguent pas par leur originalité, mais au contraire par leur identification répétitive à des motifs performatifs et spectaculaires pré-existants, par leur reconstruction incessante d'identités déjà produites et mises en circulation. Ces nouveaux produits culturels sont interchangeables, disponibles, transformistes. Ils s'adaptent volontiers aux formats dans lesquels ils apparaissent et disparaissent continuellement.

Avec ces deux points de départ, qui s'inscrivent dans deux époques différentes : des débuts de l'usage personnel des caméras à la généralisation de formes de performances spécifiques encouragées par internet, notre programme « Prolétaire de la performance !!! Rejoins nous ! » se donne pour objectif d'explorer les relations entre performance et technologie, en particulier « la technologie du divertissement ».

L'idée ici n'est pas de réfléchir aux problèmes de conservation et de documentation de la performance, mais au contraire, de penser à la performance en relation à sa médiation instantanée, à sa diffusion simultanée, à sa circulation immédiate. A travers cette fenêtre (un terme à entendre au sens plus technique que conceptuel), nous voulons faire apparaître la variété des rôles et des postures identitaires générée par de telles conditions méthodologiques et technologiques.

Ces questions réunissent des artistes de générations différentes, et pas seulement issus de la génératio internet, des artistes qui ont cherché et cherchent à brouiller les limites entre film, vidéo, performance, musique, télévision, qui incarnent et subvertissent des personnages et des rôles déjà existants dans l'industrie du spectacle et du paysage technologique. Ces artistes combinent différents mediums afin de dépasser et de comprendre les protocoles des médias de masse, ils intègrent ces protocoles, ils embrassent leurs stéréotypes et leurs promesses de démocratisation, tout en produisant une posture critique vis à vis de l'esthétique de masse.

Cette variété d'œuvres et d'artistes liées par leur relation au divertissement et aux mass media sera regroupée sous une seule bannière : celle d'un streaming des performaces produites qui regroupera des performances live diffusées simultanément et une sélection d'archives vidéo de performances produites pour la fenêtre du streaming. Après une première édition au Magasin de Grenoble, la chaîne des Performance Proletarians sera mise en place à l'école, pour la production de nouveaux chapitres de l'histoire des prolétaires de la performance.

www.performanceproletarians.com & www.lilireynauddewar.com